> Georges Montaron et le 17 octobre 1961

 

Pendant les années sombres de la guerre d'Algérie, Georges Montaron, s'est illustré par ses positions pour la décolonisation et contre les tortures et les atrocités commises au nom de la France. En cela, il n'a fait qu'étendre à l'Algérie, ses prises de positions courageuses concernant le Viêt-Nam, la Tunisie et le Maroc. Lesquelles lui semblaient, sans doute, identiques à celles qui l'avaient fait s'opposer à l'occupation de la France par les Allemands. Ces positions en avaient fait la bête noire des ultras et il était condamné à mort par l'OAS. Son journal, Témoignage Chrétien, était fréquemment saisi par la police aux ordres de Maurice Papon et lui-même régulièrement poursuivi devant les Tribunaux français. En avril 1961, Georges Montaron avait été agressé par un commando d'extrême droite et en septembre 1961 la librairie de son journal avait été plastiquéee par l'OAS.

Parallèlement à ces prises de position politiques, le grand humanisme et chrétien qu'était Georges Montaron était loin d'être insensible à la détresse des Algériens. La même compassion qui l'avait amenée dans sa jeunesse à défendre les Juifs, le conduisait alors à protéger les Algériens.

 

Le 17 octobre 1961

En octobre 1961, cependant, la situation s'éclaircissait. La fin de la guerre approchait. De Gaulle l'avait décidée. Et il existait déjà des pourparlers entre des représentants du Gouvernement français et des représentants du FLN. Georges Montaron qui était l'ami d'Edmond Michelet, Ministre, et de Robert Buron, négociateur, et qui possédait des contacts avec le FLN n'en ignorait rien. Ce n'était pas le cas de l'homme de la rue - français ou algérien - pour qui la guerre s'éternisait.

Mais si, la période pouvait sembler positive à certains, c'était sans compter sur les jusqu'au-boutistes. C'est le 5 octobre 1961, que Maurice Papon, Préfet de Police de Paris, décide d'imposer aux seuls ressortissants algériens un couvre feu profondément humiliant. Et qu'en réponse, le FLN décide d'organiser une manifestation pacifiste pour protester contre le couvre-feu.

De Gaulle y vît une tentative de pression sur la négociation ou tout au moins une démonstration de force du FLN. Ce dernier, pour sa part, entendait donner un peu de liberté à ses ressortissants soumis à un couvre-feu éprouvant et répondre à ceux des siens qui l'accusaient de ne plus rien entreprendre. La manifestation se voulait pacifiste et silencieuse et le FLN pensait qu'elle ne poserait pas de problème aux Autorités françaises. La France n'était-elle pas le pays des droits de l'Homme ?
C'était sans compter sans Maurice Papon qui décida de l'interdire peu de temps avant sa tenue. Le FLN, qui était un mouvement clandestin, était dans l'incapacité d'annuler immédiatement l'ordre de manifester sans exposer ses agents. Et il risquait de se déjuger.

Le 17 octobre 1961, les Algériens de Paris et de l'Ile de France se préparèrent donc à une vaste manifestation qui devait les amener notamment à la place de la Concorde et au Trocadéro.

Elie Kagan

Élie Kagan, seul de sa famille réchappé des camps de la mort, était reporter indépendant. Et quand on le connaît (j'en parle au présent tant Élie Kagan est resté vivant en ceux qui l'ont connu) on conçoit qu'il ne puisse pas être autrement qu'indépendant. Solitaire, utopiste, généreux, il faisait partie de ces non-conformistes de la profession auxquels Georges Montaron se liait d'amitié. Élie Kagan lui proposa de couvrir la manifestation du 16 octobre 1961 pour Témoignage Chrétien. En effet, en tant que free-lance, il devait s'assurer que ses photos avaient des chances d'être achetées avant que de se lancer dans un quelconque reportage. Georges Montaron lui donna son accord sans plus. Il avait connaissance des négociations en cours et il pensait qu'il ne se passerait rien.

Le lendemain

Le lendemain, Georges Montaron fut réveillé de bonne heure par un appel de la Police. Élie Kagan était " retenu " au Commissariat. Georges Montaron s'y rendit immédiatement. Il était coutumier du fait. Il venait, vêtu d'un costume sévère, " l'uniforme " qui impressionnait le plus les fonctionnaires, il demandait sèchement à voir le Commissaire, exhibait sa carte de Directeur de Presse barrée tricolore et exigeait la libération de " son " reporter au nom de la Liberté de la Presse. Sans rien savoir de ce qui s'était passé, il affirmait que c'était sur ses instructions que le photographe avait agi et qu'au besoin il en discuterait avec le Ministre.
A sa sortie du commissariat, Élie Kagan était fortement excité. Il avait été témoin d'une répression policière extrêmement violente. Celle-ci avait tiré à balles réelles sur des manifestants. Élie Kagan affirmait même qu'il y avait des morts.
Tout allait reposer sur ses photos. La police avait confisqué son appareil, enlevé la pellicule et débobiné ses films en pleine lumière. Mais Élie Kagan, vieux routier des arrestations policières, leur avait remis des cartouches vierges. Plusieurs de ses bobines avaient été abandonnéées à la hâte dans un caniveau au moment de son arrestation. Il fallait les récupérer au plus vite. Et voilà Élie Kagan en tenue décontractée et Georges Montaron en costume en train de faire les caniveaux dans le petit matin !
Les bobines furent retrouvées et d'aucun se demandait si elles seraient exploitables. Elles le furent néanmoins. Leur mauvaise qualité et la médiocrité du tirage ajoutaient à leur côté dramatique.

TC 903

Les dires d'Élie Kagan ne furent pas corroborés par la radio. Celle-ci ne signalait rien : on indiquait seulement que la manifestation s'était déroulée malgré l'interdiction, qu'il y avait eus des heurts mais que les forces de l'ordre étaient restées maîtresses de la situation. Seule la télévision fit état de brutalités policières rapportées par les médias américains, mais pour les contester. Le lendemain, les quotidiens parisiens étaient également muets.

Malgré ce silence Georges Montaron décida de publier le reportage d'Élie Kagan dans le prochain TC, le numéro 903 daté du 27 octobre, mais imprimé et distribué quelques jours plus tôt. Mais que dire au sujet d'éventuels morts ? Les photos ne prouvaient rien. Tout tenait sur le seul témoignage d'Élie Kagan. Témoignage Chrétien venait d'être saisi par Maurice Papon et Georges Montaron était sous le coup de poursuites pour avoir révélé des cas de tortures de la part de l'armée française. Le journal pouvait être condamné: cela lui coûterait cher - en argent et en lecteurs. Il fallait à tout prix trouver des témoins crédibles qui accepteraient de déposer devant un tribunal. Georges Montaron fit le tour des rédactions pour contacter les confrères qui avaient " couvert " l'événement. Le résultat fut consternant : pratiquement aucun journaliste ne s'était déplacé. Les contacts avec le FLN étaient également décevants. En fait l'organisation clandestine pouvait difficilement admettre l'existence de morts sans en être tenue pour responsable. Georges Montaron, Hervé Bourges - le nouveau Rédacteur en Chef - et toute l'équipe des journalistes étaient perplexes. S'il y avait eu répression sanglante, il fallait le dire. Mais c'était seul contre tous.

L'enquête dans les milieux de la presse n'ayant rien donné, le journal chrétien eut la bonne idée de la prolonger dans le milieu religieux. S'il y avait eu des blessés graves, ils devaient avoir été conduits dans un hôpital ou une clinique. En bon chrétien, on fit le tour des aumôneries des hôpitaux et de l'Armée. La recherche s'avèrera payante : de jeunes recrues scandalisés et un aumônier confirment qu'il y a eu des morts et ils acceptent de témoigner. La "Une " et les pages principales de l'hebdomadaire de Témoignage Chrétien - numéro 903 daté du 27 octobre 1961 - sont réservées pour le reportage d'Élie Kagan. Et Hervé Bourges fait une rentrée tonitruante avec un cinglant éditorial : " Le temps des Tartuffes ".

La Mutualité

Georges Montaron ne s'arrêtera pas là. Il avait déjà été échaudé le 14 juillet 1953 pour une affaire similaire : la mort de manifestants algériens chargés par la Police. A cette époque, il s'était retrouvé seul avec Louis Massignon et une poignée de sympathisants pour déposer, en hommage aux victimes, un calicot calligraphié de versets du Coran à la mosquée de Paris.

Fort de sa position de vice-président de la Fédération de la Presse Catholique et Trésorier du Syndicat de la Presse Hebdomadaire Parisienne, il battit le rappel de ses confrères. Il décida d'organiser, avec eux, un meeting pour " protester contre les violences policières et la répression de la manifestation du 17 octobre 61 à Paris ". La manifestation annoncée dans le TC numéro 903, se tiendra le 26 octobre à la Mutualité. Y prendront la parole : Georges Montaron, directeur de Témoignage Chrétien, Claude Bourdet, directeur de France Observateur, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, directeur de Libération, le RP Avril, directeur de Radio-Cinéma (ancêtre de Télérama), le pasteur Lochard, Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit, Jean Schaeffert et André Souquière.

Daniel MONTARON

 Numéro 903 de Témoignage Chrétien.

"Il ne s'est rien passé d'extraordinaire ce mardi soir : on matraquait, on mitraillait. Le seul fait extraordinaire, c'est que pour une fois les matraquages se déroulaient sous nos yeux, au coeur de la capitale..."


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