> L’après Montaron par Jean-Pierre Bagot

“ L’après-Montaron ” ? Je ne saurais traiter ici de toutes les faces de l’héritage spirituel que l’ancien directeur de TC nous laisse. Je me limiterai à l’aspect que je connais bien et où je me suis investi : celui du fonctionnement de l’Église.

C’est à partir de la façon dont, en ce domaine, j’ai découvert chez Georges Montaron des fronts de combats communs que je puis tenter d’imaginer le futur à promouvoir. Au départ, rien ne m’attirait vers sa personne. Né dans un milieu de bourgeoisie libérale, j’avais certes été élevé dans une atmosphère de grande ouverture, ce qui m’avait permis de découvrir et d’apprécier la JOC (en particulier à travers Marcel Calot). J’avais aussi été bouleversé par la lecture tant de France Pays de Mission que par des Cahiers de Témoignage Chrétien. Jeune étudiant, puis séminariste, puis mis en contact avec le monde ouvrier par un stage chez les prêtres ouvriers ou par mon premier ministère, j’étais fort sensible à toute ouverture à tous " les pauvres " de ce monde et je me situais moi-même en " résistant " vis-à-vis de tout système d’exclusion, aussi bien sociale que religieuse. Mais, épris de rigueur intellectuelle, je maintenais une certaine méfiance à l’égard d’un homme dont des historiens " sérieux " déclaraient certaines affirmations par trop marquées de " militantisme ".

D’ailleurs mes premières responsabilités de prêtre, en aumônerie de lycée et en catéchèse adolescente, puis dans le scoutisme, ne me semblaient pas ses combats et je ne suivis plus qu’occasionnellement son journal sans m’en sentir vraiment solidaire. D’ailleurs, en matière d’Église, dans la foulée du concile, celui-ci n’était-il pas un peu " dépassé " ?

Vint pourtant le jour où les blocages auxquels je me heurtais dans l’Église me conduisirent à une analyse institutionnelle, je pourrais dire politique, de son fonctionnement. J’eus alors soudain cette intuition claire : " il va falloir rentrer en résistance. Donc je me réabonne à TC ".

C’est à partir de là que j’ai vraiment rencontré Montaron.

Un rassembleur

Surprise : lui que je pensais centré sur la seule action de l’Église dans la société saisissait parfaitement le lien entre cette action et les problèmes internes de l’institution. Lorsque, pour la première fois, je lui proposais un article fort provoquant, d’un simple titre, fort symptomatique, (" Nien danke, Herr Kardinal "), il renforça vigoureusement ma dénonciation des propos par lesquels, à Notre-Dame de Paris, le cardinal Ratzinger assassinait le mouvement catéchétique français. Par la suite, bien qu’il m’ait au premier abord paru peu préoccupé par certains problèmes intellectuels, et alors même que certains militants de base l’incitait à se détourner d’un combat à leurs yeux purement intellectuel et abstrait, il saisira parfaitement l’enjeu global de la " bataille Drewermann " : le renouvellement d’une mentalité chrétienne encore engoncée dans une vision antique de l’homme.

Bref : je découvris en lui un rassembleur pour un combat d’ensemble, mené sur tous les fronts.

Je relis, parfois avec étonnement, le caractère prophétique de certains de ses éditoriaux portant sur ces sujets.

Le 27 février 1989, à propos de l’appel à Rome de 132 théologiens français soutenant leurs collègues allemands : " Que des théologiens expriment leur volonté de dialogue, que des chapitres de cathédrale tentent de s’opposer à des nominations épiscopales qu’on leur impose, tout ceci témoigne de la vitalité de l’Église. Mais l’Église, ce ne sont pas uniquement des clercs. Le Peuple de Dieu est tout entier concerné par ces débats, par ces pratiques autoritaires ". Il annonce alors la plaquette Résister pour espérer, " outil d’information de réflexion et d’action " et annonce un appel manifestant que les chrétiens se veulent " débout, libres, responsables ".

Le 3 avril, il s’insurge contre la façon dont, en refusant de recevoir Mgr Gaillot, Rome réduit " les espaces de liberté ". " On ne peut pas entendre les témoignages qui montent du Peuple de Dieu ". " Comment peut-il y avoir communion, s’il n’y a pas (…) rencontre, dialogue ? (…) Rome peut-il assurer sa mission en se réfugiant derrière ses remparts et en campant sur ses certitudes ? (…) Mais, si nous sommes tristes, nous gardons l’espérance. (…) Si certains d’entre nous sont tentés de quitter cette Église fermée sur elle-même, qu’ils se reprennent ".

" L’appel pour une Église du dialogue au service des hommes et du monde ", qui deviendra bien vite L’appel des 25 000 provoque parfois des réactions négatives de certains. Le 8 mai 1989, Georges défend la " cause " face à ceux qui s’étonnent que TC " semble se passionner pour des problèmes internes à l’Église, alors qu’il n’a jamais éprouvé beaucoup d’intérêt pour les nominations, les changements de poste, les textes émanant des diverses administrations ecclésiastiques. (…) Ils craignent que nous n’abandonnions notre tâche essentielle, à savoir affronter en chrétiens les problèmes de la société moderne, témoigner de la présence de J.C. au milieu des masses ". Il rappelle que cette tâche essentielle est mise en cause par la politique de " restauration ". " Quand les affaires intérieures de l’Église sont ainsi porteuses de si graves conséquences, il est indispensable qu’elles ne nous soient pas étrangères… Nous affirmons notre volonté de vivre dans une Église vivante, riche de la diversité de ses disciples ".

Dialogue

Sur la lancée de " l’appel ", il annonce la naissance d’un " Comité pour une Église du dialogue, au service des hommes et du monde " et suggère même une publication spécialisée. Il rappelle que, si TC a pris l’initiative de " l’appel ", celui-ci n’est pas son affaire propre, mais celle, non seulement des catholiques mais " des chrétiens des autres Église, des marginaux par rapport aux Églises, des agnostiques même ". Le 26 juin 1989, se réjouissant de la rencontre d’une délégation de l’appel avec Mgr Gilson, délégué par l’épiscopat français, il rappelle que le dialogue doit se poursuivre, non seulement entre les baptisés, laïcs ou êtres, et les évêques, mais aussi " entre les différentes sensibilités du Peuple de Dieu " et " de ce peuple avec le monde ". Le 23 octobre, il rappelle combien, dans leur combat, les Églises protestantes d’Allemagne de l’Est, les communautés de base d’Amérique latine ou les Églises baltes mènent le même combat, celui de l’homme.

Au lendemain du grand Forum du 21 octobre 1989 (Maison de la Chimie), il se défend de vouloir récupérer dans un organisme unique les richesses qui se sont révélées, " d’autant plus qu’il existe des organisations au sein desquelles travaillent nombre d’hommes et de femmes du Forum du 21 octobre. Nous récusons donc toute velléité de créer un nouveau mouvement avec ses sections, ses fédérations, son secrétariat national. Nous entendons rester ce que nous sommes : un cri et un souffle ".

Mais, tout en appelant à soutenir ce qui existe déjà, et face " aux manifestations d’autoritarisme de la hiérarchie, au climat de restauration et au refus de dialogue sur certains sujets ", il n’en suggère pas moins la constitution d’une " cellule de crise " qu’on dénommera " cellule d’espérance " (30/10/89).

23 et 24 novembre 1991, à St Ouen, États Généraux de l’Espérance : c’est l’heure de la convergence, donc de l’optimisme. Va-t-on vers un véritable lieu permanent de concertation entre les différentes instances de la pastorale française ? Mais ce sera rapidement la désillusion, la retombée. Problèmes de personnes ?

En bonne dynamique de groupes, il faut plutôt penser à une difficulté structurelle : quand, dans un nouveau regroupement potentiel, avant même que les responsabilités et les rôles aient pu se définir, un partenaire pèse trop fort, il provoque des peurs, des retraits. Ainsi en fut-il. L’élan retomba. Le Forum des communautés chrétiennes, né d’une autre dynamique, ne pouvait que difficilement prendre le relais.

Foisonnement

Ce fut dans cette situation que, le 13 janvier 1995, éclata " l’affaire Gaillot ". On sait l’émotion qu’elle provoqua, les rassemblements qu’elle occasionna, la multitude de groupes nouveaux qui en résulta spontanément. Bien entendu, Georges Montaron monta immédiatement au front. Mais la division avait fait son œuvre : c’est au moment même où une " cellule de crise " aurait été le plus nécessaire qu’elle fit le plus cruellement défaut. L’heure fut celle, non pas du rassemblement, mais du foisonnement. Beaucoup ne virent même dans la présence de TC à Evreux qu’une tentative de récupération au profit du seul journal. Bien sûr, on vit s’affirmer nombre de forces vives inattendues, mais encore peu sûres d’elles-mêmes, et surtout fragilisées par leur dispersion.

Rapidement, l’association Partenia 2000 émergea comme un drapeau possible. Il ne s’agissait certes que d’une association fermée, condition peut-être nécessaire d’une prise en charge concrète de problèmes urgents posés par le " diocèse virtuel " de Jacques Gaillot. On peut penser que, dans un second temps, elle se serait ouverte afin de rendre concrètement possible le réseau qui se cherchait. Mais elle échoua sur la Requête du peuple chrétien. Alors que la vague venue d’Autriche et d’Allemagne venait en quelque sorte relever à sa manière l’élan retombe en France, et alors que nombreux groupes de base saisissaient spontanément cette occasion de relance du mouvement, cette fois-ci à un niveau européen, Partenia 2000 l’ignora, créant ainsi un trouble profond au sein de la base. Mais, de ce fait même, il se condamnait lui-même et ne pouvait plus que végéter.

Pour sa part, Georges Montaron saisit immédiatement la portée possible de l’événement. Il se rendit parfaitement compte du danger qu’il y aurait à faire de la requête l’affaire du seul TC. Hélas, il se trouvait désormais presque totalement isolé, et seuls quelques rares organismes se joignirent à l’affaire. Parce que totalement dispersée, l’Église (de base) de France ratait la rentrée dans un courant européen.

L’héritage de Montaron ? " Un cri, un souffle ", selon ses termes mêmes. Le militant, peut-être lui-même trop engagé pour que ses cris permettent de percevoir " le souffle " dont il se sentait porteur et qui le dépasse, a maintenant disparu. Toutes proportions gardées, vaut aussi pour lui la parole de Jésus : " Il vous est bon que je m’en aille pour que l’Esprit vienne ".

Nombreux sont ceux qui s’en rendent compte : l’avenir est, non plus aux mouvements étroitement structurés, mais au " réseau ". Il se jouera dans la forme que prendra la communication entre les forces vives, celles de la base.

Comment cela pourra-t-il se faire ? On peut penser que des propositions naîtront vite. Mais nul ne peut prétendre détenir une solution magique qui pourrait court-circuiter l’appel de la base. De l’avenir, tous deviennent porteurs, dès lors que, par tous les moyens à leur disposition, ils entreront de plus en plus en réseau. Seule cette communication peut entretenir le jaillissement de sève qui fera craquer les vieilles écorces. Car là où est la vraie communication, là est l’Esprit de Dieu. Je pense que ce fut celui de Georges.

Jean-Pierre BAGOT
in Tribune 2000, décembre 97



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