Laprès-Montaron ? Je ne saurais traiter ici de toutes les faces de lhéritage spirituel que lancien directeur de TC nous laisse. Je me limiterai à laspect que je connais bien et où je me suis investi : celui du fonctionnement de lÉglise.
Cest à partir de la façon dont, en ce domaine, jai découvert chez Georges Montaron des fronts de combats communs que je puis tenter dimaginer le futur à promouvoir. Au départ, rien ne mattirait vers sa personne. Né dans un milieu de bourgeoisie libérale, javais certes été élevé dans une atmosphère de grande ouverture, ce qui mavait permis de découvrir et dapprécier la JOC (en particulier à travers Marcel Calot). Javais aussi été bouleversé par la lecture tant de France Pays de Mission que par des Cahiers de Témoignage Chrétien. Jeune étudiant, puis séminariste, puis mis en contact avec le monde ouvrier par un stage chez les prêtres ouvriers ou par mon premier ministère, jétais fort sensible à toute ouverture à tous " les pauvres " de ce monde et je me situais moi-même en " résistant " vis-à-vis de tout système dexclusion, aussi bien sociale que religieuse. Mais, épris de rigueur intellectuelle, je maintenais une certaine méfiance à légard dun homme dont des historiens " sérieux " déclaraient certaines affirmations par trop marquées de " militantisme ".
Dailleurs mes premières responsabilités de prêtre, en aumônerie de lycée et en catéchèse adolescente, puis dans le scoutisme, ne me semblaient pas ses combats et je ne suivis plus quoccasionnellement son journal sans men sentir vraiment solidaire. Dailleurs, en matière dÉglise, dans la foulée du concile, celui-ci nétait-il pas un peu " dépassé " ?
Vint pourtant le jour où les blocages auxquels je me heurtais dans lÉglise me conduisirent à une analyse institutionnelle, je pourrais dire politique, de son fonctionnement. Jeus alors soudain cette intuition claire : " il va falloir rentrer en résistance. Donc je me réabonne à TC ".
Cest à partir de là que jai vraiment rencontré Montaron.
Surprise : lui que je pensais centré sur la seule action de lÉglise dans la société saisissait parfaitement le lien entre cette action et les problèmes internes de linstitution. Lorsque, pour la première fois, je lui proposais un article fort provoquant, dun simple titre, fort symptomatique, (" Nien danke, Herr Kardinal "), il renforça vigoureusement ma dénonciation des propos par lesquels, à Notre-Dame de Paris, le cardinal Ratzinger assassinait le mouvement catéchétique français. Par la suite, bien quil mait au premier abord paru peu préoccupé par certains problèmes intellectuels, et alors même que certains militants de base lincitait à se détourner dun combat à leurs yeux purement intellectuel et abstrait, il saisira parfaitement lenjeu global de la " bataille Drewermann " : le renouvellement dune mentalité chrétienne encore engoncée dans une vision antique de lhomme.
Bref : je découvris en lui un rassembleur pour un combat densemble, mené sur tous les fronts.
Je relis, parfois avec étonnement, le caractère prophétique de certains de ses éditoriaux portant sur ces sujets.
Le 27 février 1989, à propos de lappel à Rome de 132 théologiens français soutenant leurs collègues allemands : " Que des théologiens expriment leur volonté de dialogue, que des chapitres de cathédrale tentent de sopposer à des nominations épiscopales quon leur impose, tout ceci témoigne de la vitalité de lÉglise. Mais lÉglise, ce ne sont pas uniquement des clercs. Le Peuple de Dieu est tout entier concerné par ces débats, par ces pratiques autoritaires ". Il annonce alors la plaquette Résister pour espérer, " outil dinformation de réflexion et daction " et annonce un appel manifestant que les chrétiens se veulent " débout, libres, responsables ".
Le 3 avril, il sinsurge contre la façon dont, en refusant de recevoir Mgr Gaillot, Rome réduit " les espaces de liberté ". " On ne peut pas entendre les témoignages qui montent du Peuple de Dieu ". " Comment peut-il y avoir communion, sil ny a pas ( ) rencontre, dialogue ? ( ) Rome peut-il assurer sa mission en se réfugiant derrière ses remparts et en campant sur ses certitudes ? ( ) Mais, si nous sommes tristes, nous gardons lespérance. ( ) Si certains dentre nous sont tentés de quitter cette Église fermée sur elle-même, quils se reprennent ".
" Lappel pour une Église du dialogue au service des hommes et du monde ", qui deviendra bien vite Lappel des 25 000 provoque parfois des réactions négatives de certains. Le 8 mai 1989, Georges défend la " cause " face à ceux qui sétonnent que TC " semble se passionner pour des problèmes internes à lÉglise, alors quil na jamais éprouvé beaucoup dintérêt pour les nominations, les changements de poste, les textes émanant des diverses administrations ecclésiastiques. ( ) Ils craignent que nous nabandonnions notre tâche essentielle, à savoir affronter en chrétiens les problèmes de la société moderne, témoigner de la présence de J.C. au milieu des masses ". Il rappelle que cette tâche essentielle est mise en cause par la politique de " restauration ". " Quand les affaires intérieures de lÉglise sont ainsi porteuses de si graves conséquences, il est indispensable quelles ne nous soient pas étrangères Nous affirmons notre volonté de vivre dans une Église vivante, riche de la diversité de ses disciples ".
Sur la lancée de " lappel ", il annonce la naissance dun " Comité pour une Église du dialogue, au service des hommes et du monde " et suggère même une publication spécialisée. Il rappelle que, si TC a pris linitiative de " lappel ", celui-ci nest pas son affaire propre, mais celle, non seulement des catholiques mais " des chrétiens des autres Église, des marginaux par rapport aux Églises, des agnostiques même ". Le 26 juin 1989, se réjouissant de la rencontre dune délégation de lappel avec Mgr Gilson, délégué par lépiscopat français, il rappelle que le dialogue doit se poursuivre, non seulement entre les baptisés, laïcs ou êtres, et les évêques, mais aussi " entre les différentes sensibilités du Peuple de Dieu " et " de ce peuple avec le monde ". Le 23 octobre, il rappelle combien, dans leur combat, les Églises protestantes dAllemagne de lEst, les communautés de base dAmérique latine ou les Églises baltes mènent le même combat, celui de lhomme.
Au lendemain du grand Forum du 21 octobre 1989 (Maison de la Chimie), il se défend de vouloir récupérer dans un organisme unique les richesses qui se sont révélées, " dautant plus quil existe des organisations au sein desquelles travaillent nombre dhommes et de femmes du Forum du 21 octobre. Nous récusons donc toute velléité de créer un nouveau mouvement avec ses sections, ses fédérations, son secrétariat national. Nous entendons rester ce que nous sommes : un cri et un souffle ".
Mais, tout en appelant à soutenir ce qui existe déjà, et face " aux manifestations dautoritarisme de la hiérarchie, au climat de restauration et au refus de dialogue sur certains sujets ", il nen suggère pas moins la constitution dune " cellule de crise " quon dénommera " cellule despérance " (30/10/89).
23 et 24 novembre 1991, à St Ouen, États Généraux de lEspérance : cest lheure de la convergence, donc de loptimisme. Va-t-on vers un véritable lieu permanent de concertation entre les différentes instances de la pastorale française ? Mais ce sera rapidement la désillusion, la retombée. Problèmes de personnes ?
En bonne dynamique de groupes, il faut plutôt penser à une difficulté structurelle : quand, dans un nouveau regroupement potentiel, avant même que les responsabilités et les rôles aient pu se définir, un partenaire pèse trop fort, il provoque des peurs, des retraits. Ainsi en fut-il. Lélan retomba. Le Forum des communautés chrétiennes, né dune autre dynamique, ne pouvait que difficilement prendre le relais.
Ce fut dans cette situation que, le 13 janvier 1995, éclata " laffaire Gaillot ". On sait lémotion quelle provoqua, les rassemblements quelle occasionna, la multitude de groupes nouveaux qui en résulta spontanément. Bien entendu, Georges Montaron monta immédiatement au front. Mais la division avait fait son uvre : cest au moment même où une " cellule de crise " aurait été le plus nécessaire quelle fit le plus cruellement défaut. Lheure fut celle, non pas du rassemblement, mais du foisonnement. Beaucoup ne virent même dans la présence de TC à Evreux quune tentative de récupération au profit du seul journal. Bien sûr, on vit saffirmer nombre de forces vives inattendues, mais encore peu sûres delles-mêmes, et surtout fragilisées par leur dispersion.
Rapidement, lassociation Partenia 2000 émergea comme un drapeau possible. Il ne sagissait certes que dune association fermée, condition peut-être nécessaire dune prise en charge concrète de problèmes urgents posés par le " diocèse virtuel " de Jacques Gaillot. On peut penser que, dans un second temps, elle se serait ouverte afin de rendre concrètement possible le réseau qui se cherchait. Mais elle échoua sur la Requête du peuple chrétien. Alors que la vague venue dAutriche et dAllemagne venait en quelque sorte relever à sa manière lélan retombe en France, et alors que nombreux groupes de base saisissaient spontanément cette occasion de relance du mouvement, cette fois-ci à un niveau européen, Partenia 2000 lignora, créant ainsi un trouble profond au sein de la base. Mais, de ce fait même, il se condamnait lui-même et ne pouvait plus que végéter.
Pour sa part, Georges Montaron saisit immédiatement la portée possible de lévénement. Il se rendit parfaitement compte du danger quil y aurait à faire de la requête laffaire du seul TC. Hélas, il se trouvait désormais presque totalement isolé, et seuls quelques rares organismes se joignirent à laffaire. Parce que totalement dispersée, lÉglise (de base) de France ratait la rentrée dans un courant européen.
Lhéritage de Montaron ? " Un cri, un souffle ", selon ses termes mêmes. Le militant, peut-être lui-même trop engagé pour que ses cris permettent de percevoir " le souffle " dont il se sentait porteur et qui le dépasse, a maintenant disparu. Toutes proportions gardées, vaut aussi pour lui la parole de Jésus : " Il vous est bon que je men aille pour que lEsprit vienne ".
Nombreux sont ceux qui sen rendent compte : lavenir est, non plus aux mouvements étroitement structurés, mais au " réseau ". Il se jouera dans la forme que prendra la communication entre les forces vives, celles de la base.
Comment cela pourra-t-il se faire ? On peut penser que des propositions naîtront vite. Mais nul ne peut prétendre détenir une solution magique qui pourrait court-circuiter lappel de la base. De lavenir, tous deviennent porteurs, dès lors que, par tous les moyens à leur disposition, ils entreront de plus en plus en réseau. Seule cette communication peut entretenir le jaillissement de sève qui fera craquer les vieilles écorces. Car là où est la vraie communication, là est lEsprit de Dieu. Je pense que ce fut celui de Georges.
Jean-Pierre
BAGOT
in
Tribune 2000, décembre 97
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