> Le fait du prince
par Georges Montaron

Ce dimanche-là, c'était le 27 juillet des policiers se présentaient au domicile d'un journaliste très connu pour l'inviter à quitter Paris. Il n'était pas là. Le lendemain, les mêmes hommes se présentèrent au siège de son journal. Il était absent. Et, depuis, les abords de son domicile et de son journal sont entourés d'une attention toute particulière. L'homme recherché, c'était Simon Malley.
Mais qui donc est ce Simon Malley et que lui reproche-t-on?
La réponse à la première question est facile. Simon Malley est le directeur de la rédaction d'une importante revue bimensuelle: "Afrique Asie " éditée à Paris et qui a une audience toute particulière dans le monde arabe et dans de nombreux africains. Simon Malley est de nationalité égyptienne. Il a commencé son métier de journaliste à seize ans, au Caire, au journal de langue française: " Le Progrès Égyptien ". Il vit, maintenant, en France, depuis plus de dix ans, avec sa famille.
Par contre, il est impossible de répondre à la seconde question. On peut seulement rappeler les faits connus.
Étant étranger, Simon Malley, sa femme et ses trois enfants sont soumis au régime du permis de séjour et de la carte de travail. Jusqu'au 27 juin il n'y a eu aucune difficulté pour le renouvellement, tous les trois mois. de ces documents. Mais, ce jour-là, tout était changé. L'inspecteur chargé de les accueillir leur confisqua leurs papiers et leur déclara qu'une lettre du ministre de l'Intérieur les invitait à quitter définitivement le territoire français.
Malgré leurs demandes de précisions les expulsés ne purent connaître ni les raisons de ces mesures, ni l'auteur de cette décision.
Aussitôt des journalistes, des syndicats, des hommes politiques, interrogèrent les pouvoirs publics. Des ambassadeurs de pays africains s'adressèrent directement à l'Élysée. Pas un seul de ces intervenants ne reçut la moindre
réponse aux questions posées. C'était le Saint-Office avant Vatican Il.
Jean François-Poncet, le ministre des Affaires étrangères, sembla consterné par une mesure qui l'étonne et qui risque de lui créer de multiples embarras dans ses rapports avec plus d'un pays du tiers-monde et de la nation arabe. Jean-Philippe Lecat, le ministre de la Culture et de la Communication, garant de la liberté de la presse, demeura silencieux et ne se manifesta que pour annoncer la sortie d'un timbre célébrant le 350e anniversaire de la fondation de "La Ga.zette de France" et le centenaire de la loi sur la liberté de la presse. On croît rêver! Quand à Raymond Barre, il confirma ce que nous savions. Interrogé à son tour, il répondit que cette affaire relevait de la
compétence du ministre de l'Intérieur. Où est-il le temps où, à Matignon, siégeait le chef du gouvernement? Il n'y a plus là que le premier d'entre les ministres. Le pouvoir réel est ailleurs.
Qu'en est-il réellement de cette affaire? C'est maintenant fort simple à analyser. L'auteur de cette décision qui se cache dans les brumes, c'est le président de la République lui-même. Celui-ci n'a pas agi par calcul politique ou à la suite dune analyse de la situation.
Il n'a pu, tout simplement, résister à l'amicale pression du président Bongo chez lequel il aimait tant prendre des vacances de chasseur. Il savait qu'en cédant ainsi à une telle sollicitation il ferait également plaisir au roi du Maroc, son " cousin ".En effet, la revue de imon Malley est souvent critique à l'égard des pays de type féodal comme le Gabon et le Maroc. Elle est, de sur croÎt, favorable aux peuples qui, tels les Sahraouis, luttent pour leur indépendance nationale. Et cette voix rencontre plus d'un écho sympathique au creur de l'Afrique. Alors il fallait la contraindre au silence.
Mais comment justifier une telle mesure?
Le monarque qui sommeille en Giscard n'est pas préoccupé par ces choses-là. Comme les rois qui embastillaient sans autre forme de procès tous ceux qui leur déplaisaient, ain.si Mirabeau pour n'en citer qu'un, le souterram élyséen fait taire la voix d'.1/i'ique-A.'iÎe en chassant de son royaume Simon Malley. Nous ne sommes plus dans le monde de la politique mais dans le royaume des petits copains.
.Voilà qui entache sérieusement l'image de notre pays qui vient de célébrer avec éclat le 14 juillet, la chute de toutes les bastilles et la fin des privilèges monarchiques.
Voilà surtout qui va porter atteinte à l'audience que nous avions encore dans le monde arabe et en Afrique noire. Déjà, Jean François-Poncet a dû remettre son voyage à Alger. Nos rapports avec l'Algérie, qui devaient se normaliser, sont à nouveau détériorés. Comme ils le furent une première fois par la faute de Giscard au temps, pourtant, où Boumediene voulait tourner la page de l'histoire. Quinze États africains au moins, ont fait connaître à Paris leur émotion.
Qu'importe! Le fait du prince se manifeste une fois encore avec autoritarisme et désinvolture. Giscard est incapable de résister à la tentation. Il se comporte en souverain comme s'il n'avait de compte à rendre à personne. Et il n'est pas seul. Sa femme, à laquelle nulle élection n'a conféré quelque charge que ce soit, se comporte également en souveraine. Elle est de toutes les cérémonies à une place que ni Madame de Gaulle, ni Madame Pompidou, n'auraient acceptée car ces épouses-là avaient le sens de l'État. Elle ne craint pas d'user de sa situation privilégiée pour laisser faire croÎtre ses richesses personnelles. Ainsi a-t-elle été une des principales bénéficiaires d'une opération boursière fructueuse avec les actions de Rhône- Poulenc.
Dans le cadre de leur mandat, de Gaulle et Pompidou tenaient a en appeler régulièrement au jugement de ceux qui les avaient fait président. En usant du référendum, ils pesaient régulièrement les voix qui leur étaient favorables. Et quand de Gaulle fut mis en minorité, en républicain responsable, il s'en alla.
Depuis sept ans qu'il règne, Valéry Giscard d'Estaing s'est bien gardé de consulter le peuple sur ses grands choix. A quoi bon. Il est roi. Et il compte bien le demeurer.
Comment le président de la République peut-il appeler les Français à l'effort quand il se laisse aller lui-même à tant de faiblesses?
Cette lettre de cachet est une sale affaire. Pour la Ve République qui glisse de plus en plus vers l'arbItraire sous le signe du caprice, pour notre politique d'amitié avec le tiers-monde qu'elle compromet, pour notre image de défenseur des droits de l'homme qu'elle défigure.
Il nous reste une chance de remonter la pente, de quitter ces marais pour rejoindre les sommets. Le 26 avril de l'an prochain, nous pourrons mettre fin à ce septennat et à ces pratiques. C'est la condition première d'un vrai redressement de la France.

Georges Montaron,

4 août 1980



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