Une immense émotion populaire
s'est manifestée dans toute la France à la suite de l'attentat
contre la synagogue de la rue Copernic à Paris. Des femmes et des hommes
de tous les syndicats, de tous les partis, de toutes les confessions sont descendus
dans la rue pour affirmer leur volonté de combattre le racisme.
Il est bon de laisser ainsi éclater son émotion, de dire sa solidarité
avec les victimes, de manifester dans la rue. Mais il faut aller plus loin et
tenter de comprendre pourquoi ce racisme fleurit à nouveau, pourquoi
l'antisémitisme est toujours actuel. Peut-être, aussi, faut-il
chercher à savoir à qui profitent ces crimes.
La France n'est pas une terre où le racisme pousse normalement. Il faut
donc des circonstances particulières pour qu'il connaisse une éclosion
si préoccupante.
Il y a sans doute des réseaux qui suscitent des attentats et arment des
mains criminelles. Il ya une internationale noire qui véhicule le racisme.
Mais ces organisations ne pourraient se développer si n'existait pas
un climat qui leur soit favorable.
Il est évident que la plupart des auteurs des attentats sont des jeunes,
marqués par l'atmosphère dans laquelle ils vivent et qui sont,
dès lors, facilement manipulés par ceux qui, à partir de
leur offensive raciste, veulent instaurer un ordre nouveau. Comme ils peuvent
être utilisés également par certains services secrets étrangers
décidés à influer sur l'opinion publique et le pouvoir.
Le racisme dont sont victimes les Arabes et les
Noirs est sans aucun doute, pour une part, une séquelle de la guerre
d'Algérie et du processus de décolonisation, en même temps
qu'un refus d'accepter que l'Autre soit différent dans sa culture et
la couleur de sa peau, parce que soi-même on n'arrive pas à définir
sa propre identité.
Mais ce racisme venu de l'intérieur de l'homme et de l'histoire n'est-il
pas justifié par le pouvoir politique, quand celui-ci élabore
des lois signées Bonnet et Stoléru dirigées contre les
étrangers, quand les Arabes et les Noirs sont soumis à des vérifications
d'identité agressives dans les lieux publics; quand des journaux mènent
campagne contre la présence des étrangers en France.
Comment les racistes ne se sentiraient-ils pas confortés dans leurs violences
quand ils constatent que les assassinats d'Algériens, ceux de Goldman,
de Curiel, de Laïd Sebaï demeurent impunis.
Comment ne se sentiraient-ils pas portés par ces idéologies qui
plaident contre l'égalitarisme, pour l'élitisme, contre le christianisme
et sa loi d'Amour, pour l'efficacité et la virilité symbolisées
par le culte dû à l'homme grec.
Quand l'éminente dignité de l'homme,
de tout homme quel qu'il soit, n'est pas reconnue, le racisme peut proliférer.
Or la philosophie qui émane de la république giscardienne est
aristocratique en même temps que scientiste. Ce n'est pas pour rien que
le nouvel institut que vient d'inaugurer Valéry Giscard
d'Estaing est placé sous le patronage d'Auguste Comte. Le fondateur de
la .religion positiviste va marquer de son empreInte ces nouvelles élites
qui auront pour charge de manier l'opinion et de diriger l'État. On voit
dans quelle direction iront ces nouveaux patriciens.
Comment les racistes ne se sentiraient-ils pas compris dans leur mépris
de l'autre et plus précisément de l'étranger quand ils
voient comment notre ministre de l'Intérieur a traité Simon Malley,
directeur de la revue "Afrique Asie ". Comédie de la Commission
des Expulsions où s'exprime le mépris de M. Bonnet à l'égard
du Président et des témoins, mobilisation policière, kidnapping
spectaculaire, à l'américaine, mépris du droit, embarquement
forcé à bord d'un avion pour la direction la plus lointaine et
sans papiers, telles ont été les caractéristiques de l'expulsion
pour raison d'État d'un journaliste qui déplaisait à quelques
chefs d'État africains.
Redisons-le, ici, il n'y a pas pour nous, d'un côté, les quatre
morts de la rue Copernic et la synagogue agressée, et, de l'autre, la
centaine de morts -très exactement quatre-vingt-trois tués du
1er janvier 1970 au 31 décembre 1979 -et les nombreux établissements
maghrébins et le domicile du président de la Ligue des Droits
de l'homme plastiqués; il n'y a que des victimes du racisme entre lesquelles
nous ne faisons aucune discrimination. [...]
L'antisémitisme ne saurait être dissocié
du racisme. Sans doute, est-il souvent encore plus tragique. Hitler lui a donné
une dimension apocalyptique que nous ne pouvons oublier, avec la complicité
-en France -du gouvernement de Pétain et de la majorité de la
population. Ceux qui, alors, étaient du côté des Juifs persécutés
n'étaient qu'une poignée et c'est l'honneur de " Témoignage
chrétien " d'avoir été de ceux-là.
L'antisémitisme avait, hier, une motivation religieuse. Celle-ci a largement
disparu pour laisser sa place à la politique.
Au XIXe siècle, en réaction contre l'antisémitisme qui
sévissait en France et en Europe, est né le sionisme. Cette idéologie
polItIque a été marquée par une exaltation exacerbée
d'u~ peuple, le peuple juif, le repliement sur .Soi même de cette communauté..
Le Sionisme
Isole les Juifs, il s'exprime, aujourd'hui, par une injustice grave commise
en son nom à l'égard du peuple palestinien chassé de sa
terre et par la politique discriminatoire menée à l'égard
des Arabes au sein de l'État israélien et dans les territoires
occupés. Il n'hésite pas à user du terrorisme. Ces traits
ne sont pas sans conséquences sur l'image que donne la communauté
juive.
Des Juifs, croyants ou non, ont dit depuis longtemps
leurs craintes de voir le judaïsme pleinement identifié à
une idéologie de création récente et dont la politique
et les options sont contestables. Ils n'ont guère été entendus.
Au contraire. La présence ostentatoire dans les récents défilés
des groupes sionistes ultras et musclés arborant le drapeau israélien
et clamant des slogans vengeurs et sans nuances, a été une erreur
et une faute remarquée par plus d'un observateur. [...]
Les attentats antisémites visent à provoquer la communauté
juive, à la couper du reste de la nation, à l'amener à
des ripostes violentes et vengeresses. Ses leaders religieux ont été
d'une sagesse exemplaire et d'une grande intelligence politique. Ils ne sont
pas tombés dans le piège.
Les Juifs sont un peuple. Ceux d'entre eux qui ont la foi se réunissent
dans les synagogues -ces temples où Jésus prêcha. Ils adorent
le Dieu unique. Celui-là même qu'adorent les chrétiens et
les musulmans. Ils sont Français à part entière. S'ils
ont, pour Israël, des sentiments très forts, ils ne sont pas pour
autant, dans leur immense majorité, partis pour Tel Aviv ou Haïfa.
Ils sont demeurés français. Ils ont combattu le nazisme à
nos côtés et ils sont des citoyens actifs de la nation française.
C'est dire que toute agression à leur endroit est une agression dirigée
contre chacun d'entre nous.
Aussi, tandis que déferle cette vague raciste,
nous voulons dire que nous sommes tous des Juifs, des Noirs, des Arabes... Nous
voulons que chacun sache que nous ne laisserons pas éclater la nation
et que nous saurons défendre l'âme de la France une fois encore
menacée.
Georges Montaron,
in
Dossier CAASM lundi 13 octobre
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